Promenade en forêt Sauvages
Pour ne pas tomber dans une catégorisation qui poursuivrait la pensée logico-formelle du monde qui nous entoure, nous vous proposons de parcourir le site et de le nourrir de vos propres contributions selon les grands champs thématiques proposés à travers une promenade dans le vivant, symbolisée ici par une forêt. Une forêt multiple, inexistante en tant que telle mais qui regrouperait tout un ensemble d’imaginaires du vivant, et ce faisant de modalités de réflexion. Si la forêt d’immeubles de New-York est exclue, vous pourrez retrouver tout ce que votre imagination peut mettre derrière le terme de forêt : une forêt de Brocéliande croisée avec une jungle tropicale humide, où se mêleraient les mangroves humides d’Asie du sud-ouest avec les bois noirs du Massif Central. Nous vous proposons de découvrir, à travers une promenade imaginaire, les forêts Sauvages, et d’en nourrir des sujets d’analyse critique. Un avertissement cependant, la promenade n’est pas sans danger. Il faudra s’armer de courage, se départir d’ idées préconçues, peut-être abandonner une partie de ce qui vous est cher. Nous venons toutes d’un univers où la mort du vivant est érigée, acceptée, encouragée. C’est donc armée de réflexivité, de dégoût du monde capitaliste et de l’ego masculiniste, ouverte pleinement et simplement au monde qui vous entoure que vous pourrez entrer dans la forêt.
On commence par entrer dans les bois. A la lisière, c’est le commencement de la forêt. Ce sont les premiers arbres, les premières fougères, les premières traces d’un animal passé il y a peu. C’est aussi la fin. La fin de la prairie (hélas souvent d’élevage un peu dense), la fin de la ville (hélas très souvent plus que dense), la fin de tout autre chose. On commence à ressentir le foisonnement, la fraicheur qu’apportent les arbres, le bruissement de l’air et de la vie. On rentre dans la forêt par la lisière. Elle peut paraitre effrayante ou rassurante, qu’elle soit baignée de soleil ou arrosée de pluie, rien n’est pareil. Mais si vous êtes toujours là, tous les sens sont sollicités, tous sont en alerte. La pluie sur les sapins fait ressortir l’odeur boisée, le soleil, lui, dépose sa chaleur sur la peau par touche, les frondaisons faisant comme une barrière protectrice pour la voyageuse. A la lisière, on peut encore se retourner et dire adieu, on peut admirer un autre paysage, on peut être surprise. On peut aussi se protéger de la pluie si l’on décide de faire un pas de plus. Mais ce pas est décisif : si on décide de la faire, il faut s’être déprise de ses certitudes, de ses assurances mais surtout de ses rationalités.
Avec ce pas, on avance. Il faut avancer doucement, le sol de la forêt est inégal et empli de surprises. Beaucoup de plantes et de petits animaux profitent de l’ombre des arbres pour pousser. C’est souvent un peu humide. Si vous marchez pieds nus, débarrassez de vos chaussures de femme civilisée, très vite vous les retrouvez couverts de terre. Il faut avancer dans les sous-bois. Là, plus de retour en arrière n’est possible. C’est la forêt tout autour. Elle peut être pleine de mystères, ou pleine de peur mais elle est surtout pleine de vie. Le bruissement de ce vivant que vous ne faisiez qu’effleurer à la lisière vous entoure maintenant. Le vent dans les arbres, les milliers d’êtres vivants autour, l’odeur de la terre, les feuilles mortes qui crissent sous vos pas, la sensation rugueuse de l’arbre auquel vous vous rattrapez en glissant sur le sol humide. Mais pour voir tout ça il faut être attentive. Il faut se débarrasser de qui l’on était, désapprendre jalousie, compétition et frénésie, performance, vanité et fuite en avant, rompre avec le désir d’expansion, pour mieux réa-prendre la mesure et en apprécier les douceurs. Il faut (re)ssentir. Ne plus se sentir plus que quoi que ce soit. Écouter, voir, gouter, puis enfin s’imprégner. Essayer de comprendre pourquoi c’est important. Observer comment les interactions vivantes fonctionnent, combien elles sont importantes et entremêlées. Apercevoir la trace unique de la meute de loups, le passage de la colonie de fourmis, la manière dont les champignons entretiennent les arbres. Il faut laisser de côté son ego d’humain, sortir de l’idée que nous sommes les seuls êtres pensants et conscients de cette planète et devenir partie d’un tout, celui de la forêt.
Pour ça, il y a un peu de travail, mais pas d’inquiétude rien de productif, rien d’abrutissant, rien d’harassant. On peut juste rester un moment, s’allonger près d’un cours d’eau, ouvrir ses sens, s’oublier un peu, regarder le ciel. La canopée, celle qui recouvre la forêt. Pas celle, d’acier et de verre, que l’on trouve dans toute ville-monde mais celle de la forêt humide après le passage de la pluie, celle qui contient de la vie plus qu’on ne pourra jamais l’imaginer. Celle qui bruisse des chants des oiseaux, de leur vol, de leurs interactions. Celle des milliers d’insectes, qui passent d’arbres en arbres à la recherche de nourriture. Celle peut-être où des singes jouent en se poursuivant. Cette canopée qui n’appartient à rien ni à personne, source de vie. C’est l’étage sommital d’arbres gigantesques qui nous surplombent par leur taille et par leur âge. C’est eux, gardiens de la vie, qui doivent nous faire nous sentir si petite, doivent nous rendre plus humbles, parce qu’eux sont source de vie quand nous détruisons systématiquement tout ce qui est indispensable à cette même vie. Il s’agit là d’embrasser et d’étreindre dignement le vivant.
En reprenant la marche dans la forêt, parfois le chemin sera tortueux et vous passerez par des broussailles. Il faudra pourtant continuer le chemin, se piquer aux ronces et accepter les brulures des orties. C’est ainsi qu’on apprend, en tombant, en se faisant mal, en se confrontant à la vie, chaque jour, sans relâche. Pourtant elles aussi sont indispensables : c’est de la vie autant que la nôtre. Nous ne pouvons pas les considérer comme nuisible, elles sont simplement sauvages : elles prennent leur place au sein du vivant et n’ont pas à être jugées pour leur caractéristiques. Elles piquent pour se protéger. Peut-être pouvez-vous même vous laissez surprendre par les bienfaits d’une tisane à l’ortie, infusée durant une nuit de pleine lune, rafraichissant votre corps meurtri par les ronces qui protègent des mûres noires de mains un peu trop gourmandes. Vous pouvez aussi décider de vous arrêter à proximité de ces ronces si impénétrables, en prenant soin de vous faire petite et de rester sous le vent. Vous aurez peut-être la chance d’apercevoir l’un des animaux friands de ces petits fruits juteux. Donnez-leur une chance, nous leur devons le respect que ce soit par la surprise ou pas le détour.
Si vous réussissez à passer à travers les broussailles peut-être trouverez-vous une clairière pour profiter de la voute céleste lors d’une nuit sans lune. Là aussi vous pourrez vous trouver minuscule en face de la voie lactée. Les étoiles pourront devenir un espace de rêverie interminable – mais rien de plus. Une rêverie inatteignable. Ou alors peut-être y aurait-il une pleine lune, amie des vivantes, à qui il conviendrait de glisser un mot doux pour la remercier d’être toujours là, chaque nuit à écouter le chant du loup ou celui de la sorcière… Si vous ouvrez les yeux, peut-être apercevrez-vous une chauve-souris à la recherche d’un repas. Si vous êtes chanceux ce sera même une chouette qui traversera le ciel nocturne à la recherche d’un mulot malchanceux. Non sans étonnement d’être vivant.
Si vous devez sortir de la forêt surtout n’oubliez pas tout ce que vous avez appris en la parcourant. Se déprendre et ré-apprendre, embrasser ou se détourner, s’étonner et étreindre. Être vivante, dans le présent et à l’instant, sans profit, sans arrière-pensée, en profitant de ce qui nous entoure. Trouver la sauvagerie qui est en vous, celle qui traverse l’intégralité du vivant et qui loin d’être honteuse doit aujourd’hui refaire surface, être revendiquée pleinement parce que la vie, est en nous, sauvages que nous sommes.